Pourquoi et comment mettre en place une vision partagée ?

Pour répondre à cette question, nous avons interviewé Meryem Le Saget, experte internationale en vision partagée, conduite du changement et auteur du "Manager Intuitif" (éditions Dunod, 2013) qui nous accompagne depuis avril 2016 dans notre démarche de vision partagée.

Qu'est-ce que la vision partagée ?

La vision partagée est une démarche qui fait participer les collaborateurs, ainsi que d'autres parties prenantes, à la création du futur à long terme de leur entreprise. Ici, trois mots sont importants : en premier lieu c'est une démarche, un processus vécu en commun. On en vise pas à tout prix un produit fini comme une phrase de synthèse ou un poster rédigé en pesant chaque mot. Je parle d'ailleurs souvent de visioning et non de vision, pour bien souligner que c'est une démarche de transformation. C'est aussi, bien évidemment, un exercice de projection dans le futur, d'anticipation, de vision donc, qui permet d'écrire qui l'on veut être dans 5 ou 10 ans. Et cette vision est partagée, coconstruite même, c'est le troisième aspect important. Ce n'est pas l'oeuvre de la seule équipe dirigeante, chacun apporte sa contribution. Quand les entreprises parlent de vision, elles mélangent parfois beaucoup de choses : la mission, la vision, la phrase de signature, le projet d'entreprise... Or, ces notions, bien que cousines, ne sont pas identiques. D'ailleurs, toutes les visions n'ont pas le même degré de profondeur. Il existe des processus très simples, dans lesquelles le dirigeant précise sa vision puis la partage à l'intérieur de l'organisation. Ou encore il élabore sa vision avec le comité de direction et quelques managers clés, puis la communique. Dans une démarche profonde, les collaborateurs participent à la création de la vision et souvent même les clients, les fournisseurs, les partenaires, bref l'écosystème au sens large. Quand la vision est construite par les personnes le plus directement concernées par l'avenir de l'entreprise, le résultat est beaucoup plus puissant.

Qu'apporte cette démarche aux entreprises ? A ses collaborateurs ? Est-ce que toutes les entreprises peuvent y recourir ?

L'entreprise y trouve au moins trois avantages : d'abord la démarche de vision clarifie le futur et permet de se donner une feuille de route partagée entre tous ; ensuite elle permet de motiver les collaborateurs, en faisant confiance à la créativité et l'expérience de chacun pour construire l'avenir. Et cela permet aussi de repenser les méthodes de travail, et de faire évoluer les pratiques managériales. Pour les collaborateurs, une démarche de vision partagée est l'occasion de mieux comprendre leur entreprise, son environnement, et de prendre part à la création de leur futur. C'est une aventure, on découvre ses collègues et ses clients sous un jour nouveau, on fait tomber des barrières, on découvre les tendances de demain qui vont avoir des répercutions sur l'entreprise. Enfin, il est toujours plus aisé de mettre en oeuvre ce que l'on a coconstruit : on en connaît parfaitement le bien-fondé, on peut prendre des initiatives. Une vision est généralement vécue comme une dynamique collective très inspirante, dans laquelle chacun peut devenir acteur de son devenir. Maintenant, c'est vrai que c'est une démarche exigeante qui demande beaucoup de détermination et de cohérence, elle n'est pas faite pour toutes les entreprises.

Quelles sont les étapes de mise en place ?

Dans la méthode que j'ai développée, je distingue 3 grands temps : la préparation des mentalités d'abord, que j'appelle le voyage apprenant, puis la vision elle-même, et enfin la mise en oeuvre de la vision, que j'appelle la phase de vision-action. À l'intérieur des ces 3 grands temps, un déroulement précis est construit sur mesure avec une équipe interne (comité de pilotage) et le comité de direction. Les phases et leurs activités respectives varient selon la culture d'entreprise, le temps disponible, les ressources, etc. On peut analyser son environnement, écouter ses clients, explorer les racines de l'entreprise, se questionner sur les schémas mentaux, approfondir les valeurs, faire de l'ethnologie sur l'évolution de son marché, étudier la concurrence, observer la transformation des usages, etc. J'aime bien partir du terrain, d'une écoute des clients, et faire exploser les tendances du futur au plus grand nombre. La vision elle-même se construit le plus souvent au cours d'un séminaire de deux ou trois jours. La phase de vision-action commence après la formalisation de la vision, c'est la phase la plus importante, car grâce à elle la vision va prendre forme et se traduire dans le concret, dans chaque service et chaque métier.

Et les clés du succès ?

Il faut un(e) dirigeant(e) qui croit au pouvoir créatif des personnes et qui est convaincu(e) qu'il existe davantage d'intelligence dans l'ensemble de l'entreprise que dans sa seule équipe au sommet. Il faut ensuite un climat de confiance qui permette aux personnes de s'exprimer et de croire en leurs rêves. Cela ne fonctionne pas bien quand il y a de la peur. La démarche de vision étant hautement collaborative, mieux vaut également qu'il y ait déjà, dans le passé ou le vécu actuel de l'entreprise, des pratiques participatives ou apprenantes : objectifs participatifs, auto-organisation des horaires, réunions construites et animées de façon collaborative, pratique du Feedback, etc. Ensuite, on ne fait pas une vision à 1 ou 2 ans, on s'inscrit dans un horizon long terme. Si l'entreprise ne sait pas donner de temps, mieux vaut s'abstenir. Enfin, une autre clé de succès déterminante est que le collaborateur voit que des choses changent dans son quotidien. Sans résultats visibles, une vision reste une démarche incantatoire.

Vous avez déjà accompagné plusieurs entreprises dans cette démarche, quel est votre plus beau souvenir ?

J'ai beaucoup de beaux souvenirs, car ce sont de magnifiques histoires humaines. Les personnes se révèlent à travers une vision, et si le climat de confiance est bien vivant, l'intuition collective est souvent bluffante. Une vision donne aussi beaucoup de sens à un collectif : au lieu de subir le futur, les personnes le créent ensemble. L'état d'esprit dominant devient "Pourquoi pas ?". C'est très tonique. Parmi les très belles histoires qui me font chaud au cœur, j'ai la chance d'accompagner l'entreprise Leroy Merlin France dans une démarche durable, profonde, qui a déjà couvert trois cycles de vision à 10 ans, le plus récent étant en cours (Vision 2025). Autant de conviction et de détermination de la part des dirigeants, autant de confiance en la personne humaine, et un tel engagement de la part des collaborateurs (plus de 22 000 personnes aujourd'hui) forcent le respect. C'est une aventure exceptionnelle, qui a vraiment démontré sa puissance d'inspiration et de transformation.  


Meryem Le Saget est experte internationale en vision partagée, conduite du changement et méthodes collaboratives. Auteur de "Le Manager Intuitif" (Dunod, 2013), de "La Pratique du Leadership Partagé" (PUM, 2013) et d'une dizaine de recueils de chroniques, Meryem Le Saget donne des conférences sur les meilleures pratiques de management et conseille les équipes de direction. Largement formée aux méthodes de co-création et à l'accompagnement de visions partagées, elle met son savoir-faire et son expérience au service des entreprises et des équipes qui choisissent de placer les personnes au coeur de leur développement. Avant de créer son propre cabinet de conseil, elle a dirigé pendant dix ans L'Institut de l'Expansion (Forums et séminaires pour dirigeants - Groupe Expansion) et pendant 5 ans Erasme International (Rencontres et débats sur l'Entreprise du futur - Groupe Nouvel Observateur). Elle est membre fondateur de l'IAF-Paris, l'antenne française de l'International Association of Facilitators.

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